« Les consommateurs ont vite compris que ce n’est pas Chanel qui vend les meilleures lunettes de soleil, qu’une montre Casio donne l’heure de façon plus précise qu’une Rolex, qu’il est possible de trouver des vêtements de bonne qualité sans qu’ils soient cousus main en Italie et que le parfum n’a pas besoin de coûter 100 $ les 30 ml pour sentir vraiment bon. Le problème, pour de nombreuses marques de luxe, est que souvent elles ne vendent plus les articles les plus beaux ou les plus efficaces. Ne vous méprenez pas sur mes propos; il existe de nombreuses exceptions, mais dans notre monde désargenté, les revenus disponibles sont consacrés à l’utile plutôt qu’au superflu ».
[Extrait de l’article « Are Tech Toys The New Luxury Goods? » Pour en savoir plus, suivez ce lien : Forbes]
Bien sûr, le passage qui m’interpelle dans cet article est celui concernant le parfum. Cependant, je suis d’accord avec la majorité des idées avancées. Je constate autour de moi que les gens sont plus enclins à dépenser leur argent pour acheter le dernier iPhone, le plus récent Androïd, le bracelet Nike Fuel Band… Ils s’assurent que leur téléviseur Apple soit correctement installé et qu’ils reçoivent bien le bouquet complet des émissions Netflix. Et tous ceux qui doivent absolument avoir la ceinture Prada avec la bonne boucle, les dernières chaussures Gucci, le sac à main tendance it bag, semblent avoir fait leurs achats dans des magasins d’usine, sur eBay, BeyondTheRack, Gilt, Shopify… et n’ont même plus l’air de se soucier du symbole de prestige que représente une marque. Comment maintenir l’exclusivité quand tous les designers semblent ouvrir des boutiques à tour de bras dans chaque centre commercial ? Le problème viendrait-il en partie de là ? Pourquoi dépenser des sommes folles alors que les produits sont accessibles à tous, à peu près partout et à toutes sortes de prix ? La marque Louis Vuitton elle-même est disposée à personnaliser ses produits pour vous, pour essayer de se différencier des copies de bas de gamme qui inondent le marché. Il vous suffit de connaître le prix d’un vrai sac Chanel ou Hermès pour comprendre qu’il existe probablement plus de contrefaçons que d’originaux.
Mais qu’en est-il du parfum ?
Peut-on réellement contrefaire la magie d’un parfum ? Êtes-vous prêt(e) à dépenser moins, comme le suggère l’article ? Se parfumer n’est-il pas le seul geste encore capable de nous transporter ailleurs, dans cet espace magique (et personnel) où le prix importe moins que l’expérience vécue ? Ce moment de grâce que nous vivons lorsque le parfum touche notre peau, cette bulle où il nous fait voyager tout au long de la journée n’a pas de prix à mes yeux.
Plus j’approfondis mes connaissances sur les arômes et plus j’en apprends sur les parfums de niche et les petites maisons de parfums, plus je comprends que ce qui motive ces marques, c’est le désir de créer une fragrance plutôt que de générer des profits. Les deux démarches doivent être parallèles, par nécessité, car sans revenus, la source finit par se tarir. Mais je constate avec plaisir qu’au contraire des designers qui se bradent un peu partout et n’importe où, certaines maisons de parfum font le choix de rester petites et exclusives. Ces créateurs sont plus soucieux du nez derrière la fragrance, des ingrédients utilisés et de l’expérience olfactive que vous vivrez que de la vente à grande échelle. Ils préfèrent être présents dans des boutiques dont les propriétaires connaissent bien leurs fragrances et sont capables de restituer l’histoire de chacune, plutôt que de retrouver leurs flacons alignés en rangs d’oignons sur les étagères d’une parfumerie quelconque pour Monsieur et Madame Tout-Le-Monde.
Inhalez les arômes de la nouvelle fragrance d’Atelier Cologne, au nom évocateur de Mistral Patchouli, et vous serez transporté(e) au cœur de la Provence. Ce parfum me rappelle les étés de mes vingt ans passés à Cannes. Sylvie Ganter et Christophe Cervesal ont capturé cette atmosphère à merveille. Ma mémoire me ramène immédiatement à cette insouciance et me fait sourire, chaque fois que je porte ce parfum, à l’évocation de ces moments innocents et moins innocents de ma jeunesse.
ARQUISTE Parfumeur offre une collection de parfums qui vous feront voyager dans l’histoire, mais la véritable expérience est celle que vous vivrez intimement. Boutonnière no 7 évoque une scène d’opéra à Paris et fait surgir des images de la fin du siècle dernier, mais pour moi, elle me ramène à mon enfance; je rêvais devant des photographies de mon grand-père lors d’un dîner officiel à Winnipeg, à l’Hôtel Royal Alexandra, démoli de nos jours. Il portait un luxuriant gardénia au revers de sa veste de smoking et il était entouré de ses contemporains à l’air cérémonieux dans leurs strictes tenues de soirée. Quand je porte cette fragrance, j’éprouve un peu de nostalgie pour ces temps révolus, mais je perçois bien plus le charme sophistiqué et sensuel si propre à ce parfum.
Penhaligon’s de Londres a une longue histoire et une sélection de parfums qui semble plus longue encore. Leur image est définitivement plus classique que les marques que nous proposons chez Etiket, mais c’est précisément ce qui les rend parfaits pour les occasions où vous vous sentez un peu plus… classique ! Lorsque je prépare mon costume de soirée, que je cire mes chaussures à lacets et attache mes boutons à manchettes, j’ai l’embarras du choix : Sartorial semble le choix le plus évident, mais que dire du classique Blenheim Bouquet ? S’il était digne de Monsieur Churchill, il l’est tout autant pour moi ! Je ne suis pas à cheval sur les principes et je n’adhère pas au concept de « parfums pour hommes » ou « pour femmes ». L’origine des parfums n’est pas si simple et, même si je n’irai pas jusqu’à porter Lily of the Valley, je n’hésiterais pas à choisir Bluebell si l’humeur du moment s’y prêtait.
Porter Patchouli Patch de L’Artisan Parfumeur un soir de sortie me transporte vers un univers envoûtant et sensuel où tout peut arriver. Chaque fragrance de L’Artisan Parfumeur, l’une des premières maisons de parfums de niche, est issue de l’histoire particulière d’un nez qui vous conduira exactement là où on vous le promet et pourtant, ultimement, c’est à travers votre propre histoire que vous voyagerez. Est-ce que le parfum aura évoqué le jardin de votre enfance ? Ou alors les effluves des arbres et du lac, tard le soir, après une promenade en canoë ? Ou encore le souvenir d’anciens amis ou d’anciennes amours ?
Une chose est certaine : le rythme de nos vies s’accélère tel un tourbillon, nous accordons plus de valeur à la technologie qu’à l’esthétique, au sensoriel qu’à l’intellect, aux médias sociaux qu’aux communications vraies… Le parfum ne devrait-il pas nous donner l’occasion de ralentir un peu, de renouer avec des sentiments sincères, d’échanger avec ceux qui croisent notre chemin, et nous permettre de préserver un luxe authentique qui mériterait bien notre attachement ?
Simon Tooley,
Président/Propriétaire d’Etiket