Marc-Antoine Barrois ne se contente pas de créer de beaux parfums. Il se questionne et réévalue les façons de faire au quotidien pour intégrer des pratiques de développement durable et d’éco-responsabilité, tant au sein de son entreprise que dans sa vie personnelle.
Je m’appelle Marc-Antoine Barrois, je suis couturier et directeur artistique de la marque éponyme que j’ai créée il y a quinze ans. J’ai découvert la Haute Couture en travaillant pendant deux ans aux côtés de Dominique Sirop, qui avait lui-même travaillé avec Monsieur Saint Laurent, et par-dessus tout pendant des années avec Hubert de Givenchy. J’ai poursuivi mon apprentissage chez Hermès avec Jean-Paul Gaultier, où j’ai expérimenté le prêt-à-porter de luxe, puis chez Jitrois, où j’ai dessiné pour l’homme pour la première fois. En 2009, à l’âge de 25 ans, j’ai décidé de créer ma propre maison de mode masculine, avec pour objectif de retrouver les fondamentaux traditionnels de la Haute Couture: le service, la qualité et la créativité.
Ce n’est que quelques années plus tard, en 2013, que ma conscience écologique s’est éveillée. Le déclic a été assez précis. Je me souviens avoir vu ce reportage sur la disparition des insectes en France. En 30 ans, les populations d’insectes avaient diminué de 80%. Le reportage parlait des pare-brises qui sont désormais rarement marqués par un insecte après des centaines de kilomètres sur l’autoroute, alors que je me souvenais qu’enfant, mes frères et sœurs et moi-même étions chargés de nettoyer les milliers de mouches, moustiques et autres insectes écrasés sur la carrosserie après chaque trajet. Nous ne parlions plus d’une extinction massive dans un passé lointain, mais d’une extinction récente, qui s’était déroulée au cours des 30 dernières années, et dont j’avais été inconsciemment le témoin…
Je me suis soudain sentie pleinement responsable. Non pas d’avoir tué des milliards d’insectes, mais de ne pas avoir réalisé plus tôt qu’en grandissant, la tête haute grâce à mes études puis à ma vie professionnelle, je cautionnais un changement du monde pour le pire, alors que nous aspirons au meilleur.
J’ai commencé à m’interroger sur mes propres actions, et à revoir ma copie avec plus de modestie, consciente de l’importance de consommer moins et mieux. Dans ma vie privée, je me suis convertie au bio et au vrac, j’ai recommencé à prendre le vélo ou les transports en commun quand c’était possible, et je m’essaie à la permaculture dans notre jardin. Au travail, j’ai commencé à insister sur le fait que mes créations sont cousues à Paris avec des tissus qui n’ont pas traversé la planète, et qu’il est plus écologique d’acheter quelques vêtements bien faits que d’acheter sans cesse des modes bon marché (ou pas) qui se renouvellent à chaque saison.
Aussi, lorsqu’après le succès inattendu de B683, le premier parfum que j’ai créé avec le parfumeur Quentin Bisch, nous avons commencé à réfléchir à un second parfum et à pérenniser cette activité créative en parallèle de la couture, j’ai voulu reprendre les choses à zéro, en remettant en cause chaque étape du processus pour qu’il soit en accord avec mes convictions.
Tout était déjà fabriqué localement, de l’emballage au remplissage, mais il restait de nombreux points à améliorer. Nous avons commencé par inclure dans les spécifications de notre nouveau parfum qu’il serait stable sans conservateurs ni filtres UV, les premiers étant tous considérés comme des perturbateurs endocriniens probables. Ganymede a ensuite passé avec succès tous les crash-tests sans ces additifs, et nous avons lancé le processus de reformulation du B683 pour supprimer ces mêmes conservateurs habituellement ajoutés systématiquement. Nous sommes alors en 2019, et je me sens pionnière d’une parfumerie respectueuse, à l’heure où tant de consommateurs sont sensibles à la » beauté verte « .
Depuis, je poursuis le changement vers un modèle économique le plus vertueux possible. Nous faisons fabriquer nos cartons d’expédition et nos caisses de regroupement par un ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail) en région parisienne, où nos boîtes de parfum sont désormais fabriquées avec un calage en carton, supprimant ainsi la mousse plastique floquée de velours qui n’est pas recyclable. En plus d’être réutilisables, les boîtes étant dimensionnées pour accueillir des cartes postales ou des feuilles A4 pliées, nos emballages sont désormais entièrement recyclables.
Nous avons remplacé la cellophane par une étiquette holographique autocollante qui garantit l’authenticité de nos produits, sans utiliser de plastique. De même, nous recyclons autant que possible nos produits de rembourrage, de sorte que chaque jour, lorsque nous envoyons un parfum, cette dernière étape ne crée pas de déchets futurs mais, au contraire, réduit notre empreinte écologique. Enfin, nous disposons d’une solution de remplissage pour nos bouteilles en verre.
Aujourd’hui, je suis fière de participer à ma « modeste » manière à un monde que je crois meilleur. En montrant que c’est possible tout en étant viable et durable, j’espère inviter d’autres personnes à remettre en question leur façon de travailler, de produire et de consommer au quotidien.